Rien n’est pire dans l’Histoire que l’homme politique qui méconnaît sa mission et qui exerce les responsabilités pour lesquelles les citoyens lui ont confié un mandat temporaire sans base doctrinale publique ou , a fortiori, avec un référentiel idéologique travesti.
L’entretien publié dans la revue Le Débat ne permet en effet nullement de conclure que François Hollande a mené une longue et féconde réflexion en philosophie et en économie politique.
Par delà des manipulations de la réalité, dignes de celles de son adversaire préféré, son prédécesseur, il ne peut faire illusion qu’auprès d’électeurs tout aussi dépourvus de repères théoriques que lui ou sidérés par l’état dans lequel se trouve le pays.
Passe encore que la lutte des classes comme moteur de l’histoire ne soit pas dans son logiciel mental, le plus grave est dans le fait qu’il fait pratiquement sienne la formule de Warren Buffett, la lutte des classes est finie, nous l’avons gagnée, et qu’il n’imagine pas que cela puisse être un mensonge , à moins que cela au fond ne le satisfasse et le rassure.
Socialisme?
Quand, comme lui, on se dit « socialiste » mais pas du tout partisan « de la socialisation des moyens de production », on est renvoyé aux débuts de l’entrée du mot socialiste dans le vocabulaire, soit avant les analyses d’économie politique de Marx, mais avant Marx déjà la critique du capitalisme était présente et le capitaliste mis dans le même sac que « les agioteurs, banquiers et faiseurs de services ».
Il se dit aussi « social-démocrate » car il accepte, dit-il, « le compromis » et revendique d’avoir cherché, tout au long du quinquennat, à « mettre en dialogue un patronat moderne et un syndicalisme réformiste ».
L’exemple du dialogue social dans la fonction publique et dans les divers ministères, lieux précis où sa recherche du compromis aurait pu pleinement s’exercer montre au contraire qu’il ne s’agit que de paroles sans conséquences : ce qui précisément a été toute sa politique a consisté à privilégier et donc à choisir les interlocuteurs les plus prêts à le suivre dans la mise en oeuvre d’une idéologie du consentement ou de la soumission aux intérêts du moment de la classe dominante, moyennant la satisfaction de quelques vieilles manies de la CFDT ou de l’UNSA , par exemple dans le domaine éducatif où un pédagogisme sans réussite avérée nulle part, toutes choses égales par ailleurs, sert à dissimuler et à faire passer une politique managériale qui est contraire aux fondements de la fonction publique et aux obligations d’égalité dans l’exercice de droits réels pour les élèves et leurs familles dans le cadre d’un service public qui est une obligation constitutionnelle.
Qu’entendre par « toutes choses égales par ailleurs »? D’abord, l’obligation du service public d’éducation, c’est d’offrir effectivement les mêmes possibilités d’accès aux formations ouvertes sur l’ensemble du territoire sans devoir se déplacer de 50 km ou, même au sein d’une ville comme Paris, d’avoir recours au CNED, c’est aussi d’avoir mis en place une carte scolaire qui permette cela et non qui, sous couleur ici de mixité sociale, là de gestion de la pénurie budgétaire, oblige les familles à des stratégies personnelles, à des frais indus ou à des transits par l’enseignement privé. C’est ensuite avouer l’échec des « politiques » de la ville menées depuis plusieurs décennies désormais et qui n’ont empêché ni la création et même la prospérité du phénomène de ghetto, ni les mutations sociologiques de quartiers abandonnés par la remise en cause des services publics ; les 102 réseaux d’éducation prioritaire lancés avec fracas en 2015 ont malheureusement un cahier des charges qui inclut les errements du new public management et qui préfigure la sape culturelle majeure de la réforme du collège dont il serait très exagéré de prétendre qu’elle vise à élever le niveau général des qualifications de l’ensemble des élèves et qu’elle est soutenu avec enthousiasme par la communauté éducative alors que la majorité des professeurs concernés constatent en cette rentrée qu’elle se traduit essentiellement par une dégradation de leurs conditions de travail.
A ceux qui douteraient de la mauvaise foi gouvernementale et de ses soutiens en matière éducative, on ne saurait trop conseiller de lire attentivement le rapport de France Stratégie remis le 22 septembre au PM et intitulé « Quelle finalité pour l’école? ». Il ne s’agit rien moins que de « réduire au maximum le décalage entre l’offre de formation et les compétences attendues sur le marché du travail ». Sous l’apparent bon sens d’une formule qu’une opinion désinformée pourrait être prête à gober, et au lieu de former « l’homme, le citoyen, le travailleur » ( au masculin comme au féminin), l’ambition, si ce mot a sa place dans un tel contexte, serait de former au plus vite la main d’oeuvre utile aux entreprises, y compris au niveau local. Que toutes les études sérieuses mettent en évidence depuis longtemps qu’il n’y a pas de lien simple et direct entre la formation et l’emploi, que « l’adéquationnisme » ne pourrait être efficace que dans une économie « planifiée », ce qui n’est pas dans l’air du temps , que les formations les plus générales et les plus élevées permettent les reconversions les plus faciles n’effleurent pas plus les auteurs de ce rapport que le sort réservé aujourd’hui au salariat avec la tentation et l’incitation à l’auto-entreprenariat d’une part, à l’uberisation d’autre part, deux formes d’exploitation renforcée et de délestage fiscal des donneurs d’ordre. Ceci, il est vrai, pouvant permettre de comprendre cela.
On n’aura garde d’oublier le sort réservé aux enseignements professionnel et technologique avec une grande obstination dans le travail de sape par le ministère de l’Education nationale, ce qui permet de mieux comprendre la cohérence globale des politiques conduites depuis quelques décennies.
On savait depuis l’apparition du concept d’économie de la connaissance que l’élévation générale des qualifications n’était pas le corollaire de la démarche, tout ce que a été mis en place ou se prépare poursuit le même objectif.
Social- démocratie?
Défaite majeure donc quant au fondement même du mouvement socialiste, la transformation des rapports sociaux en faveur de classes populaires n’est plus à l’ordre du jour.
L’histoire du concept de social-démocratie a été complètement détournée depuis des décennies mais on en est arrivé désormais à un mot valise dans lequel n’importe quel politicien entasse ce qui lui passe par la tête, le candidat oublié Dominique Strauss-Kahn avait atteint sans effort le degré zéro de la politique en définissant la social -démocratie comme étant le socialisme dans le projet et la démocratie dans la méthode, sans préciser ni le sens qu’il donnait au mot socialisme, ni celui du mot démocratie. On en viendrait presque à juger Valls plus honnête dans Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche en 2008! Hollande lui-même dans une tribune publiée en 1984 n’écrivait-il pas « Pour être modernes , soyons démocrates », en prônant un nouveau contrat pour les socialistes? Le tout dépourvu naturellement de la moindre analyse des rapports de force entre les classes sociales.
« Mettre en dialogue un patronat moderne et un syndicalisme réformiste » n’ a donc pas non plus grand sens et le chef de l’Etat tout en se disant non libéral, puisque cela signifierait la prééminence dans tous les domaines de la logique du marché, a bien décidé d’une politique de l’offre dont le seul bénéficiaire, à voir l’évolution des statistiques de l’emploi, est le patronat seul, l’actionnariat si l’on veut.
Malheureusement pour le respect que l’on pourrait croire devoir porter à son honnêteté intellectuelle, il est plus libéral qu’il ne dit: les ministres du Commerce réunis le 23 septembre ont approuvé à l’unanimité le traité de libre échange avec la Canada (CETA), trait précurseur du TAFTA comme le Baptiste l’est du Christ et comportant les mêmes avantages pour les multinationales et les mêmes empêchements et obstacles à l’exercice de leur souveraineté pour les Etats.
Une confirmation officielle est prévue le 18 octobre et une signature le 27 lors d’un sommet à Bruxelles. Autrement dit avec le représentant soi-disant non libéral de la France. Et comme un méfait peut en cacher d’autres, le contenu du traité serait provisoirement appliqué avant la ratification autorisée par les parlements nationaux. On imagine sans peine les contentieux possibles si, d’aventure, saisi par le désir de défendre les intérêts réels des peuples qui les ont élus les parlementaires refusaient cette ratification.
Ce tour de passe passe honteux est d’ailleurs bien dans l’esprit de François Hollande qui, sachant que la durée d’une négociation pouvait en révéler quelques aspects critiquables, avait préconisé auprès du président américain une conclusion la plus rapide possible. Les réticences affichées aujourd’hui sur le traité transatlantique relèvent donc, dans un contexte électoral délicat pour la majorité sortante, beaucoup plus de la manoeuvre que de la conviction.
On notera que les traités de commerce en cause vont bien au delà des échanges puisqu’ils remettent en cause de manière implicite la possibilité pour un Etat d’avoir une politique économique qui irait à l’encontre d’intérêts privés.
Rappelons , pour la forme, que le libre-échange est un des paradigmes du libéralisme économique et qu’il pourrait théoriquement conduire à la spécialisation de chaque pays dans un type de production, en fonction des ses avantages comparatifs ( prix du travail par exemple) et à une division internationale du travail.
A une nuance près cependant et qui est de taille: dans une économie financiarisée mondialisée, la notion de production concrète est pour les « décideurs » secondaire par rapport aux profits tout aussi voire bien plus rémunérateurs de la spéculation boursière, l’affaire Kerviel, pour ne prendre qu’un exemple français, le prouvant au delà du raisonnable; le tout dans un système purement virtuel quant à la réalité monétaire.
On relèvera, par ironie, que si la loi Sapin actuellement en débat en France veut éviter de permettre la saisie de biens appartenant à un état, car cela serait une mise en cause de l’immunité reconnue aux états, la pantalonnade de la France à propos des deux navires construits à Saint Nazaire pour la Russie indique une absence totale d’humour rétrospectif de la part de nos ministres et président, en même temps , on n’est pas prêt de l’oublier, qu’une soumission sans principes à la politique Américaine par le biais de l’OTAN et des caniches européens.
Si le président Obama s’apprête à mettre son veto à une initiative de son très réactionnaire Congrès qui veut permettre à des familles américaines parentes de victimes (pas toutes identifiées) du 11 septembre 2001 (Attentat du WTC) de poursuivre l’Arabie saoudite, au nom de la même immunité des états, le traité de libre échange , qu’il s’agisse de CETA ou de TAFTA, se moque de cette immunité en prétendant contraindre les Etats à protéger les intérêts privés étrangers au détriment si nécessaire des intérêts de leurs concitoyens, par exemple en bridant au maximum les services publics et les politiques économiques desdits états. Si la stratégie d’une puissance permet de respecter une immunité étatique, on voit mal ce qui pourrait justifier qu’on la transgresse pour des questions « commerciales ».
Ceci dit l’arrogante prétention américaine à imposer ses normes juridiques au monde entier (embargos, amendes etc…) devrait inciter à une réflexion sérieuse sur le rôle des organismes internationaux.
Le sens d’un mandat ?
Dans la perspective des élections présidentielles, le PR s’efforce donc valoriser son mandat et de justifier quasi ontologiquement sa politique: « Mon obsession a été de ne pas aggraver les divisions, les blessures, les séparations », dit-il et il ajoute « J’ai parlé de changement, pas de rupture ».
Le plus étonnant demeure que disposant d’un majorité confortable au début de son mandat, il n’a pas su ou pas voulu expliquer le caractère néo-libéral de sa politique, virage ou pas, au risque de l’incompréhension, de l’opposition ou de l’inquiétude pour la suite d’une partie des élus parlementaires.
Sans la moindre esquisse d’autocritique, notion qui pas davantage que lutte des classes ne doit être dans son logiciel, le PR bat la campagne sur les accusations de trahison portées contre la « gauche » dès qu’elle est aux affaires (il préfère dire « responsabilités ») et plutôt que de s’en prendre à la droite à raison de sa politique depuis des années ou au patronat patronat français qui a désinvesti ou, à de rares exception près, n’ a pas su anticiper les évolutions de la demande (d’où une communication forcenée par l’utilisation des start up comme leurres pour cacher la désinvolture et l’appétit prédateur du Medef), il préfère s’en prendre à « l’autre gauche » la traitant finalement de gauche « d’empêchement » dont l’objectif serait de paralyser l’Etat!
L’exemple qu’il ose prendre, celui des manifestations contre la loi Travail, peut certes complaire à tout vieux réac' hostile à l’idée même de manifestation, mais au nom d’une conception particulière du maintien de l’ordre et de la liberté de manifestation, sa phrase a essentiellement pour but de faire oublier que cette loi apporte des satisfactions au patronat en affaiblissant les garanties des salariés, mais aucun droit réel nouveau concret aux salariés, comme si l’approfondissement de la démocratie dans l’entreprise n’était vraiment pas à l’ordre du jour.
François Hollande en fait estime que le clivage entre la droite et la gauche n’est pas opérationnel dans un monde à l’économie globalisée: c’est donc abandonner le principe même de toute démocratie car aujourd’hui encore le creuset d’une démocratie c’est l’ Etat-nation et le respect des mandats confiés pour un temps limité par des élections libres à des citoyens choisi parmi d’autres mais qui devront ou plutôt devraient rendre des comptes. Il n’est pas utile d’aller au Gabon pour vérifier que cela n’est pas la règle …
« J’ai besoin de partenaires et d’alliés » Pourquoi faire?
Dans son entretien, François Hollande constate que le président certes élu avec 50 % de suffrages exprimés plus 1 (il dit 51 %, sans doute par précaution, vu la composition et les habitudes du Conseil Constitutionnel), n’a pas pour autant de majorité dans le pays car « aussitôt élu il dispose déjà d’un peu moins de soutiens. Le parti qui l’a représenté ne rassemble que 25 % à 30 % du corps électoral. (…) En France, le président, même avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale, est minoritaire dans le pays, par la nature même du système politique et des clivages structurés par l’élection présidentielle. ».
Il y aurait bien une conclusion à en tirer, c’est que la Constitution de la V ème république faite pour un géant de l’Histoire, n’est pas ou n’est plus adaptée à la stature réelle de ses successeurs et à l’état dans lequel ils ont depuis conduit la France.
Le vrai bilan de François Hollande et le plus symbolique de la pente qu’il n’a pas été le premier à suivre mais qu’il n’a pas modifiée, loin de là, n’est-ce pas le marché passé avec une entreprise allemands pour équiper l’armée française en fusils? Là non plus la courbe n’a pas été inversée.
(1): le titre, qui pourrait choquer quelques âmes confuses, mérite une explication; c'est une allusion au titre d'un pamphlet Le négationnisme économique, parfaitement indigne de personnes prétendant participer à la création du savoir et il nous a semblé que cela relevait du même genre littéraire dans les mêmes circonstances, l'approche d'une période électorale....
CETA : Canada-EU Trade Agreement ou Accord Économique et Commercial Global (AECG).
TAFTA : Le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) en anglais), également connu sous le nom de traité de libre-échange transatlantique (TAFTA ou Transatlantic Free Trade agreement en anglais)